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Portrait de Novembre | Palawan (Irak)

Voici l'histoire de Palawan (Bahlawan).


Pourquoi Palawan a quitté l’Irak en août 2015? Il ne souhaite pas en partager les détails publiquement; chaque personne réfugiée est libre de garder son histoire ou de l’offrir aux autres, de la chuchoter ou de la hurler sur les toits, de la garder enfouie ou d’ouvrir quelques tiroirs de l’armoire de ses mystères; ce qui leur est le plus précieux désormais, c’est bien la liberté. Palawan, c’est son surnom en Suisse. Il chérit ce petit nom donné par les locaux de son pays d’adoption. Il s’appelle officiellement Bahlawan et vient de la ville de Duhok en Irak, où il a grandit et travaillé toute sa vie, avant le grand départ. Il est l’un de nos plus fidèles bénéficiaires, et a rejoint l’association Peaks4All depuis le début: dès la première réunion d’informations en Septembre 2021 il a fait une grande preuve d’enthousiasme à l’égard du projet; c’est durant cette réunion que les deux co-fondatrices; Clémence et moi-même; se tenaient, hésitantes mais déterminées, pour la première fois face à une vingtaine d’intéressés, à l’Hospice Général de soutien aux migrants à Genève. Palawan est toujours présent et encourage toutes nos activités montagnardes, il nous conseille. Nous sommes tellement reconnaissantes de l’avoir rencontré. Palawan est ce qu’on appelle un « expert »: il a été désigné par l’Hospice comme une personne réfugiée largement « intégrée » et maniant la langue française de manière avancée. Il est le référent d’une communauté de réfugiés parlant la même langue et / ou de même culture, et aide les nouveaux arrivants à comprendre les méandres administratifs, de santé, culturels ou encore financiers en Suisse. Comme beaucoup d’autres experts, son rôle est clef et directement lié à la facilitation de l’intégration des réfugiés et requérants d’asile à Genève. Palawan avait voyagé en dehors de l’Irak en 2010, au Liban; c’était avant son long périple qui débuta donc en 2015: il était à l’époque directeur d’un hôtel local, heureux de son travail stable et proche de l’humain; il aimait son appartement et sa voiture qui lui offraient une routine apaisante. Cependant, la guerre faisait rage; il nous partagera tout de même que « le manque absolument de liberté et d’égalité » sont deux des raisons l’ayant fait fuir. A cette époque, l’Allemagne est réputée généreuse et ouverte concernant sa politique d’accueil des réfugiés de crises humanitaires, il vise donc ce pays dont il ne connaît rien, ni la langue, ni la culture; ni les gens. L’échappatoire ultime a cependant un prix qu’il faut être prêt et apte à payer: 10,000 euros, c’est le coût total qui lui fut exigé des passeurs aux frontières, ou lorsqu’il a du faciliter sa transition d’un pays à un autre et maintenir un certain niveau de sécurité. Le business des passeurs est l’une des douteuses conséquences de ces migrations de masses récentes: voyage en 4x4 privé ou entassés dans un coffre sans eau ni nourriture; les inégalités n’épargnent pas les multiples migrants, souvent désespérés de s’échapper. Il faudra reprendre la route, et atteindre son objectif coûte que coûte. Son expérience en Bulgarie, à Sofia, l’a énormément marqué: il a du se cacher avec 8 familles dans une maison, avant de pouvoir être transférés à Istanbul. Ils furent entassés et enfermés 1 semaine durant sans pouvoir sortir, attendant les feux verts. En arrivant finalement en Allemagne, il se heurte à la dure réalité: les demandes d’asile étant extrêmement nombreuses, il ne put rester et décida de se diriger vers la Suisse. Commence alors un autre périple où la peur et la honte le traversent: il hait à jamais ce moment où il se retrouve menotté par des policiers dans un train aux alentours de St Gallen, sur le chemin pour Kreuzlingen, où il souhaitait rejoindre un centre d’accueil pour migrants. Jeté dehors, il ravala sa fierté et continua son chemin pour enfin arriver à Genève. On l’assigne au centre de migrants de la Roseraie, où on lui demande d’apprendre le français. Il sent monter en lui une immense vague de motivation et se met à étudier la langue, jours et nuits. Il s’est promis d’être ponctuel à chaque cours, de lire et d’étudier comme jamais; il aime construire les phrases et les expressions. C’est la musique française (il adore Juliette Armanet) qui l’a aidé à garder cette motivation fantastique pour la langue. Il savait que cet apprentissage serait son salut pour une intégration facilitée, et de meilleures chances d’obtenir son permis officiel de réfugié. En 2017, il n’a pourtant toujours pas obtenu ce permis, ce graal lui permettant d’acquérir un statut assez stable, lui ouvrir les portes du travail et des aides sociales. La Suisse est un pays très coûteux et les 450 francs mensuels ne suffisent absolument pas (si l'on met en perspective le coût de la vie en Suisse: le "SMIC" est estimé à 3500 francs par mois dans ce pays); il cherche du travail en parallèle, mais se heurte à la méfiance et son désarroi grandit. C’est alors que la même année, un événement marquant personnel l’aidera à voir un peu de lumière au fond du tunnel de l’intégration: les aides prodiguées à ce moment là l’aideront à obtenir un permis provisoire de réfugié. Palawan est désormais en Suisse depuis presque 6 ans, il est rayonnant de bonne volonté et a enfin trouvé un travail durant l’été 2022: chez GenèveRoule, une association locale souhaitant promouvoir la pratique du vélo tout en facilitant l’insertion professionnelle. Il est dans l’administration et renaît enfin, après ce périple de vie infini. Son rêve est d’enfin construire sa vie de famille: trouver une femme qu’il aimera, un foyer qu’il chérira. Mais plus que tout, il souhaite retrouver sa liberté de circulation: il se languit de pouvoir enfin avoir le droit de sortir de Suisse et la première chose qu’il fera sera « de dîner au 3ème étage du restaurant, en haut de la Tour Eiffel illuminée, à Paris. » Je réalise la chance infinie des personnes, comme moi, qui ne se doutent pas toujours que passer une frontière peut parfois coûter la vie ou la perte de ses droits. Je me fais donc la promesse de chérir ma liberté à jamais. À très vite pour le prochain portrait mensuel Peaks4All: nous découvrirons l’histoire de Khadija, jeune étudiante afghane passionnée d’escalade. Laetitia Lam


Ci-dessous: Palawan ravi lors d'une de nos excursions d'hiver en Jura, en compagnie d'autres bénéficiaires et de l'accompagnatrice en moyenne montagne Jade.


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